Ange Leccia

Peintre à ses débuts, Ange Leccia s’oriente dans les années 1980 vers l’installation, avec ses Arrangements, où il juxtaposait des objets industriels (motos, camions, projecteurs, etc.) en double et en miroir. Depuis, il privilégie le médium vidéo et cinématographique et collabore régulièrement avec Dominique Gonzales-Foerster (Île de beauté, 1996 ; Gold, 2000 ; Malus, 2003).

Emblématique de son travail filmique, La Déraison du Louvre (15 min, 2005) contemple le face-à-face clair-obscur entre le musée et la muse. La lumière et la musique jouent avec la dimension émotionnelle de cet opus romantique et lyrique, éblouissant et lent, ample et fragile. La délicatesse de Laetitia Casta, suave et silencieuse, effleure la Victoire de Samothrace et la star, loin des flashes, devient sublimité picturale et vertige stendhalien devant la Joconde.

En quête du beau, du féminin, de la grâce, Ange Leccia déploie son souffle sensible, comme autant de traces mémorielles, d’impressions rétiniennes subjectives, de fugaces images nostalgiques qu’il rend indélébiles, avec ce souci permanent de restituer une forme poétique de l’intime. Sur fond de palissades et barbelés, la vidéo Ruins of Love (26 min, 2006) montre les nuits de prostituées cambodgiennes, glisse hors du récit pour saisir l’aboiement furtif de chiens errants et la musique anachronique d’un standard pop khmer en sourdine. À quoi rêvent ces jeunes filles dans la désolation du monde ?

Comme si l’artiste tenait sa caméra tel un carnet de voyage en Orient, impression après impression, pixel après pixel, il relève apparitions et disparitions, flux et reflux, collectionnant des sensations muettes, qui seront ensuite mises en musique. Levers de soleil, fumées, nuages, vagues perpétuelles semblent se dissoudre en boucles de temporalités irréelles. Et si l’oeuvre d’Ange Leccia évoque la fuite du temps et le rapport au cinéma, il vise aussi la simplification du réel qu’offrent des médias saturés d’images, comme avec Brighton (2005), double projection qui montre une femme allongée sur une plage avec des jumelles et un combat aérien. Idem dans Ghost in the Shell (30 min, 1998), où la même image en miroir d’un avion survolant une ville, filmé en contre-plongée, n’est pas sans suggérer une vision prémonitoire du 11 septembre 2001… entre projection mentale et réalité hypnotique.

Portrait © Mai Tran – Revue 303 n° 106, “Estuaire, le paysage l’art et le fleuve”, 2009

Œuvres