Daniel Buren & Patrick Bouchain

L’art de Daniel Buren s’apparente à un sport de combat : toujours en alerte, en déplacements nerveux, en approches stratégiques de l’espace.

Après avoir abordé dans sa jeunesse de nombreuses techniques comme le film, la vidéo, le son, il met au point ce qu’il nomme son « outil visuel » : les rayures, devenues son motif-signature un jour de 1965 où il déniche fortuitement une pièce de lin rayée sur le marché Saint-Pierre, à Paris.

Ce signe, déjà opératoire dans sa participation au groupe BMPT (Buren, Mosset, Parmentier, Toroni, quatre peintres qui proclament en 1966 : « Nous ne sommes pas peintres » et mettent radicalement en crise la notion même d’auteur), se charge de vertus multiples : l’économie de moyens, la neutralisation du contenu illusionniste de la peinture, l’indifférence à tout principe narratif et la transgression de l’interdit moderniste qui bannit la fonction décorative. Il est l’élément visuel stable d’un art de l’adaptabilité, de la flexibilité matériologique et de l’écoute du lieu. « Pour moi, une œuvre sans emplacement n’existe pas. L’endroit débouche sur la forme spécifique de l’œuvre, tout comme le corps d’un oiseau est fait pour voler alors qu’une vache ne volera jamais. »

Sa persévérance à analyser l’in situ s’autorise tous les supports : murs, portes, marches d’escalier, socles de statues, trains, gilets pour gardiens de musée, panneaux publicitaires, architecture patrimoniale ou salles d’exposition. Car dans les années 1970, Daniel Buren s’expose de plus en plus dans les musées et affine sa critique institutionnelle. Du musée Guggenheim de New York à la Documenta de Kassel, il déploie ses installations comme des instruments pour voir un contexte spatial éprouver les limites physiques de l’œuvre et bousculer les frontières politiques et sociales du monde de l’art.

Le musée qui n’existait pas, le titre de sa magistrale rétrospective au centre Georges-Pompidou en 2002, vient nous rappeler la position réactive de l’artiste vis-à-vis de l’institution : Buren signe à cette occasion une exposition-œuvre, englobant tous les espaces de circulation, juxtaposant une multitude de petites « cellules » proliférantes, dont certaines, soutenues par des échafaudages, se greffent même sur la façade du Centre, prolongeant l’exposition au-dehors.

La métaphore d’une extension constante du domaine de la lutte ? Buren en tout cas n’a jamais dépassionné son corps à corps avec l’in situ : il continue d’avoir soif de dispositifs souvent complexes, multipliant les jeux sur les matériaux et sur les couleurs, installant l’élément chromatique dans l’espace sous forme de filtres, de plaques de verre ou de plexiglas colorés. Éclatant l’œuvre, à l’infini, avec une intelligence de regard exceptionnelle.

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